Le docteur Marc Klein est né le 3 mai 1905 à Haguenau dans le Bas-Rhin. Il est arrêté à Saint-Etienne le 5 mai 1944, et incarcéré à la prison militaire allemande Quartier Grouchy du 5 mai 1944 au 26 mai 1944. Puis il est transféré au camp de Drancy où il reste deux jours avant d’être déporté en Haute-Silésie (en Pologne occupée, le Gouvernement Général). Il arrive à Birkenau le 2 juin 1944 et est transféré le même jour à Auschwitz I. Durant plusieurs mois, il exerce comme détenu médecin à Auschwitz I, puis au camp annexe de Rajsko.

Marc Klein

Il y reste jusqu’à l’évacuation générale du camp le 18 janvier 1945. S’ensuit une marche de la mort jusqu’au camp de concentration de Grossrosen. Il y demeure jusqu’au 7 février 1945. Devant l’avance de l’armée soviétique, le KZ est évacué et Marc Klein est déporté à Buchenwald. Il arrive le 11 février 1945, et y reste jusqu’à la libération du KZ le 11 avril 1945.

Son matricule à Auschwitz était A-11 953. Son matricule à Buchenwald était 128 515.

Voici le témoignage de Marc Klein qu’il relate dans D’Auschwitz à Grossrosen et à Buchenwald. (Article que l’on peut lire dans Témoignages strasbourgeois, aux pages 501-504, Presses Universitaires de Strasbourg.) :

« À la tombée de la nuit, après avoir été munis d’une copieuse portion de marche, nous quittâmes à notre tour le camp d’Auschwitz I. Nous formions une colonne d’environ six mille hommes. Il faisait très froid et il avait neigé depuis plusieurs jours.

» Notre Kommando qui tous les jours, depuis des mois, avait fait ses huit kilomètres de marche, était parmi les mieux préparés pour l’épreuve qui nous attendait. Nous étions par rangs de cinq, un factionnaire SS par dix hommes. Au bout de dix kilomètres, nous commencions à trébucher sur des cadavres couchés en travers de la route, surtout des femmes, qui nous avaient précédés de peu. Le premier coup de feu retentit. Nous devenions subitement conscients de ce que les prochaines heures nous réservaient. Quiconque quittait le rang, quiconque ralentissait, perdait pied et s’affaissait était impitoyablement achevé par un coup de fusil dans la nuque. Tous les SS ne se livraient pourtant pas à cette sinistre besogne ; certains essayaient même de relever des détenus qui n’en pouvaient plus, laissant à d’autres, véritables tueurs professionnels, le soin de liquider ceux qui gisaient à terre. L’exécution de la sinistre consigne a beaucoup varié selon les colonnes d’évacuation. Je crois que la nôtre fut une des plus éprouvées : d’innombrables camarades tombèrent et furent assassinés. Mais notre Kommando se tenait en rangs serrés et il ne perdit pas un homme. Les faibles étaient, dans la mesure de nos moyens, surveillés et soutenus par ceux qui tenaient le coup.

» Nous marchâmes toute la nuit sans arrêt, suivis par les éclairs du feu de l’artillerie et constamment survolés par des avions russes. Peu avant l’aube, nous traversâmes la petite ville de Pless, paisiblement endormie, aux magnifiques façades du 18e siècle : c’étaient les premières maisons que nous revoyions depuis fort longtemps. C’est là aussi que nous dépassâmes des colonnes de femmes venant de Birkenau, auxquelles on accordait quelque répit. La nuit étant très claire, j’avais remarqué d’après les constellations que nous avions plusieurs fois changé de direction. Le lever du soleil, radieux, nous redonna quelque courage. Mais les défaillants furent de plus en plus nombreux, car nous escaladions une région de collines aux pentes assez fortes. En arrivant en haut des côtes, on voyait devant et derrière soi la file interminable d’hommes habillés en rayé, marchant à une allure inégale et de plus en plus lente. Dans un hameau, des femmes nous offrirent du lait ; la pitié humaine existait donc encore. Après quelques minutes d’arrêt, la marche reprit à travers un paysage vallonné et uniformément enneigé. Ce ne fut que vers midi que, dans un petit groupement de fermes, nous pûmes enfin nous arrêter, prendre un repas sommaire et quelques heures de repos. Une fermière nous donna du thé chaud malgré les objurgations d’un factionnaire SS. Puis je m’endormis dans la neige pendant environ quatre heures. À la tombée de la nuit, nous reprîmes notre marche, toujours étroitement groupés entre amis, pour nous soutenir les uns les autres et pour nous relayer, car nous commencions à dormir tout en marchant.

» La deuxième nuit fut bien plus effrayante que la première ; nous ne nous rendions plus du tout compte à quelle allure nous marchions. Nous devions avancer très lentement, nous suivions d’interminables routes, longions des voies ferrées sur lesquelles roulaient des convois militaires camouflés en blanc montant vers le front. Les éclairs dus au feu de l’artillerie s’éloignaient de plus en plus. Le feu d’artifice des bombardements aériens sur les centres urbains voisins formait un spectacle grandiose. Les coups de feu abattant ceux qui ne pouvaient plus suivre furent nombreux, et subitement une véritable bataille s’engagea à même notre route : nous apprîmes ultérieurement que des groupes de patriotes polonais avaient essayé, mais en vain, de barrer la route et de nous libérer. Après une vive fusillade, le calme retomba à nouveau et notre sinistre marche reprit. Les coups de feu isolés se multipliaient de plus en plus, chaque détonation signifiait la mort d’un camarade épuisé. Un coup de fusil tiré à deux pas me réveilla en plein sommeil ; ce n’était pas un camarade de mon groupe, il ne fallait pas s’arrêter une seconde, il fallait marcher. Alors survinrent les hallucinations que connaissent tous ceux qui se sont fatigués dans la neige. Nous tenions les discours les plus incohérents, mais je me souviens encore avec une grande acuité de toutes mes visions et des descriptions invraisemblables que me faisaient mes camarades les plus voisins. Vers le matin, nous dévalions une route en pente, interminable ; toute la colonne s’emballa, s’épuisa, et les coups de feu devinrent de plus en plus nombreux. J’eus la sensation de faire partie d’un troupeau de bétail, pareil à ces troupeaux de moutons qu’on voit s’affoler dans les transhumances. Enfin au petit jour, nous entrâmes dans une petite ville, bordée de gigantesques installations industrielles : nous étions arrivés à Loslau.

» Je ne sais exactement combien de kilomètres nous avions parcourus avec les nombreux détours de notre itinéraire ; je l’ai mesuré depuis lors sur une carte, nous avions dû parcourir un peu plus de cent kilomètres depuis notre départ d’Auschwitz, avec une seule période de repos de quatre heures.

» À Loslau nous fûmes rassemblés sur le quai de la gare de marchandises ; un train nous y attendait composé de plateformes ouvertes de wagons à charbon. Nous y fûmes poussés à coups de cannes par des factionnaires S.S. et quiconque n’a jamais subi une telle épreuve ne sait quelle est la hauteur d’un wagon sans marche-pied au-dessus d’un ballast sans plateforme. Nous étions heureusement groupés entre amis ; il fallait pour ne pas perdre la vie, rester entre gens sûrs au cours de ce nouveau supplice qu’était le transport en wagons ouverts ; près d’une centaine de détenus inconnus avaient été chargés sur notre plateforme. Le train s’ébranla vers midi, changea plusieurs fois de direction, puis nous remontâmes vers le nord, vers la Silésie et le nom de Grossrosen se précisa de plus en plus comme but probable de notre exode. Nous avions souvent entendu parler de ce camp, situé entre Lignitz et Schweidnitz, non loin de Breslau, et nous savions que le transfert complet de tout Auschwitz sur Grossrosen était projeté depuis des mois. Le bureau d’architecture d’Auschwitz I y avait été envoyé depuis octobre pour procéder à des constructions de baraquements destinés à nous recevoir. Un grand nombre d’éléments louches en particulier des triangles verts y avaient été transférés par petits groupes, quelques Polonais aryens, quelques médecins juifs y avaient été transportés dès le mois de novembre. Les rares nouvelles que nous en avions reçues avaient été des plus mauvaises ; nous ne nous attendions à rien de bon, mais nos plus sinistres prévisions devaient être dépassées parce que nous allions y trouver.

» Grossrosen, dont le nom est presque inconnu en France, était un camp d’extermination d’un genre différent d’Auschwitz I, réservé, me semble-t-il, surtout à des Polonais, mais aussi à un petit nombre de déportés de différents pays y compris des Français ayant échappé à l’exécution immédiate de condamnations sévères pour délits politiques. Ce camp comportait comme Kommando principale exploitation d’une gigantesque carrière de granit, et l’on sait que le travail de forçat dans une carrière est de tous le plus meurtrier. Le camp lui-même, camp de baraquements, était encore en pleine construction. C’était le camp de concentration tel que se l’imagine celui qui n’y a jamais été, enclos entouré de fils de fer barbelés électrifiés, à l’intérieur duquel on assassinait purement et simplement les détenus en mettant en œuvre les moyens d’extermination les plus variés, mais aussi les plus sommaires. Tel au moins m’est apparu le camp de Grossrosen pendant le laps de temps que je devais y passer. »

 

Pour lire les trois précédents témoignages des marches de la mort lors de l’évacuation d’Auschwitz en janvier 1945 : http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/30-la-marche-de-la-mort-1/

http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/31-la-marche-de-la-mort-2/

http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/32-la-marche-de-la-mort-3/