Entrer à Auschwitz, c’est quitter la Terre. On est jeté dans un monde nouveau, avec son langage propre. C’est le Lagersprache. Ce jargon est constitué d’un mélange d’allemand (les désignations officielles), de polonais et de yiddish. De façon globale, ce parler emprunte aux diverses langues des détenus. Parfois, il n’est pas exempt d’ironie, voire de mépris. Avec le Lagersprache des mots, idiomes ou expressions sont régulièrement modifiés, avec même des déviations de sens.

 

En voici un glossaire :

Abort ou latrines : toilettes collectives pour déportés dans un Block.

Alte Kamp-Insass/Alter Häftling : ancien détenu du camp.

Arbeitskommando : Kommando de travail d’un groupe de détenus, commandé par un SS secondé par des Kapos.

Älteste : sens premier en allemand, doyen. Un détenu est désigné « doyen » par le commandant du camp. Le terme « chef » (Führer) étant réservé exclusivement aux SS.

Appellplatz : place de l’appel qui a lieu matin et soir

Arbeitslager : camp de travail.

Aufraumungskommando : le Kommando de triage, ce sont ceux qui travaillent au Canada, qui rapportent aussi les affaires des arrivants sur la rampe.

Aufseherin : surveillante SS. Les Françaises les appelaient les « Officerines ».

Austreten : rompre les rangs, sortir du rang, aller faire ses besoins.

Aussenkommando : Kommando extérieur de travail ; équipe de prisonniers travaillant à l’extérieur du camp mais y retournant chaque jour.

Bademeister : « préposé » aux bains, aux douches.

Bauhofkommando : Kommando de construction, de maçonnerie, de débardage.

Bekleidungskammer : dépôt de vêtements.

Berufsverbrecher (BV) : criminel, de droit commun, récidiviste. Il porte le triangle vert.

Bibelforscher : les « sectateurs de la Bible », les Témoins de Jéhovah. Ils portent un triangle violet.

Block : baraquement, baraque de détenus.

Blockältester : le doyen de bloc. Il est responsable de l’administration et de la discipline de toute une caserne. Cette position offre habituellement à son titulaire une chambre privée (ou partagée avec un assistant) et de meilleures rations. À Auschwitz, ce sont le plus souvent des Triangles Verts. Un des plus célèbres Blockältester a été Albert Hämmerle, surnommé, d’après Rudolf Vrba, « Ivan le Terrible » parce qu’il tuait régulièrement des Häftlings d’un seul coup de poing.

Blockartz : médecin du Block.

Blockführer : fonction du SS chargé d’un Block, le détenu Blockältester ou la détenue Blockowa sont responsables devant lui.

Blockführerstube : bureau, salon du chef de Block SS.

Blockowa : dans les camps de femmes, la forme polonaise désignant la fonction de Blockälteste (détenue doyenne, chef de Block).

Blockschonung : corvée d’entretien de la baraque.

Blocksperre : confinement, couvre-feu. Au moment des arrivées de convois, les prisonniers sont confinés dans leurs baraquements. De même durant une sélection. Le Blockältester et ses assistants veillent à ce qu’aucun détenu ne sorte du Block, et les SS tirent à vue sur tout contrevenant. Au moment de l’évacuation d’un Lager en vue de sa liquidation, par exemple ceux des familles tchèques ou des Tziganes, il y a eu Blocksperre à Birkenau.

Bunker : prison du camp avec ses cachots et chambres de torture.

Canada : ainsi sont surnommées les baraques où sont déposés les bagages confisqués aux arrivants (les Zugangs) ; ces bagages sont triés avant d’être récupérés et de servir à toutes sortes de trafics (organisieren). Pourquoi cette appellation ? Parce que le Canada était perçu par les déportés comme un pays riche, avec beaucoup de ressources. De nos jours, on dirait plutôt : « C’est le Pérou, c’est l’Eldorado ! » Le nom officiel du Canada est Effektenkammer.

Canadiste ou canadien : membre de l’Aufraumungskommando, ceux qui travaillent au Canada. Place très enviée des autres détenus.

Coya : châlit, bat-flanc, lit à trois étages avec grabat pour deux ou trois personnes, sur des paillasses remplies de copeaux de bois.

Effektenkammer : « magasin des effets », pièce où sont rassemblés les vêtements et objets confisqués aux détenus qui arrivent dans le camp. Son surnom est le Canada.

Ehrenhäftling : détenu d’honneur.

Frauenkonzentrationslager : camp de concentration de femmes. Il se trouve à Birkenau, c’est BIa et b.

Gummi : matraque en métal entourée de caoutchouc des Kapos. C’est avec ce gourdin, cette schlague qu’ils tabassent les détenus.

Häftling : prisonnier, bagnard, détenu dans un camp.

Häftlingskrankenbau (HBK) : hôpital des détenus. C’est le Revier.

Holzschuhen : « chaussures en bois », de grossières semelles de bois garnies d’une tige en tissu. La tige est la partie supérieure de la chaussure.

Invalidentransport : en langage codé nazi : transport d’invalides ; en réalité, camion de gazage.

Kalfaktor : garçon à tout faire.

Kapo : abréviation de « KAmaraden POlizei », détenu responsable d’un commando de travail. À moins que cela ne vienne du mot italien « capo » pour chef.

Kesselkommando : Kommando chargé du transport des marmites de nourriture.

Kommando : équipe de travail, détachement de détenus répartis dans des commandos de travail.

Kommandoführer : chef de Kommando .

Konzentrationslager : camp de concentration. Acronyme : KL (dans l’administration) ou KZ (parmi les détenus).

Krankenbau : infirmerie, hôpital.

Krematorium : four crématoire ; désigne souvent l’ensemble chambre à gaz et four crématoire.

Krautenkommando : Kommando des plantes médicinales.

Küchekapo : détenu responsable du Kommando cuisine.

Lager : camp.

Lagerältester : le doyen de camp. Le Lagerältester supervise tous les Blocks, nomme les Blockältesters, exerce en grande partie des rôles administratifs. C’est le plus élevé de tous les postes qu’occupent les prisonniers. Il s’accompagne du plus grand nombre de privilèges. Le Lagerältester est le premier des Prominents. À l’époque où se déroule l’action de mon roman, il s’agit de Franz Danisch.

Lagerältester HKB : doyen du camp responsable de l’« infirmerie ».

Lagerartz : médecin-chef SS du camp.

Lagerführer : officier ou sous-officier SS exerçant la fonction de chef de camp.

Lagerkappel : l’orchestre, la fanfare. Au départ, puis au retour du travail en Kommandos, la Lagerkappel : joue une marche, un air entraînant, de la polka parfois. Ainsi, Simon Laks a été le chef d’orchestre du camp des hommes à Birkenau. Alma Rosé a été la cheffe d’orchestre du camp des femmes. Tous les camps de concentration avaient leur Lagerkappel.

Lagerkommandant : officier supérieur commandant l’ensemble d’un camp.

Lagerdolmetscher : interprète du camp.

Lagerfriseur : coiffeur du camp.

Lagerschreiber : secrétaire du camp.

Lagerschutzkapo : détenu chef du service de protection

Lagerschutz : détenu de la police interne du camp.

Lagerstrasse : allée principale du camp.

Laufer : coursier.

Mischling : terme désignant une personne issue d’un mariage mixte entre Juif et Aryen. Les Français les appelaient les « Michelins ».

Mexico : camp BIII à Birkenau, en cours de construction et laissé inachevé en 1944. Il a accueilli les déportées juives hongroises durant « l’Aktion Hoess ». D’après Simon Laks, il était surnommé ainsi en raison de son éloignement. Une autre explication proviendrait des vêtements bariolés des Hongroises qui rappelleraient le Mexique.

Muselmann ou Musulman : désigne, par dérision, le détenu en état de cachexie, arrivé au bout de ses forces, épuisé par le travail, les mauvais traitements et la dénutrition. Terme injurieux des SS et imposé aux détenus d’Auschwitz. Gérard Huber préconise que les historiens et journalistes déconstruisent ce genre de terme. Il écrit dans Mala (page 103 en note) : « La reprise du mot “musulman” par les historiens, même entre guillemets, indépendamment du rappel que ce mot appartient à une construction délirante de la langue allemande nazie, n’est pas acceptable. C’est un mot qui n’a de sens que dans cette langue raciste et uniquement à Auschwitz. » Il écrit un peu plus loin : « L’identification inconsciente au langage allemand nazie, pour imposée qu’elle était aux déporté(e)s, devrait être totalement déconstruite par les historiens et par les journalistes. »

Mütze : béret, calot, casquette du bagnard. Durant l’appel, les détenus subissent le rituel du Mützen ab… Mützen auf. Il consiste, pour les détenus d’un Block tous au garde-à-vous, à retirer de façon coordonnée et impeccable, puis à remettre son béret après l’avoir fait claquer sur sa jambe. Ceux qui n’y parviennent pas sont roués de coups de gummi. C’est l’une des nombreuses brimades inventées par les SS.

Oberkapo : Kapo en chef.

Oberscharführer (Oscha) : sous-officier SS, chef de peloton principal, équivalent à adjudant.

Obersturmführer : lieutenant SS.

Organisieren : « organiser », combiner, trafiquer pour se procurer quelque chose, pratiquer le système D, chaparder, voler. Il s’agit d’organiser les moyens de son existence pour contrer les intentions homicides des SS et de leurs séides. Troquer ou voler. En soi, ce n’est pas mal ou négatif, puisque cela permet aux détenus, s’ils ne se font pas prendre, de survivre.

Pfleger : infirmier, aide-soignant.

Pipel : un jeune garçon, âgé de moins de quinze ans, la plupart du temps polonais, souvent de belle apparence, sur lequel un Prominent a jeté son dévolu. Ce dernier lui assure protection, nourriture, lui offre des cadeaux en échange de ses services sexuels. En termes plus crus, il est l’esclave sexuel d’un Blockältester, d’un Kapo

Prominent : privilégié, « notable », éminence, personnage important parmi les détenus (doyen de Block, chef de chambrée, secrétaire, Kapo).

Puff : bordel.

Quarantäne : période d’« apprentissage », dans des baraques spéciales, imposée aux détenus à leur arrivée dans les camps afin de les briser psychologiquement.

Quarantäneblock : baraquement de quarantaine. À Birkenau, c’est le Lager BIIa.

Rapportführer : gardien SS qui était chargé de l’appel, de l’établissement de la liste des punitions, de celle des détenus malades et de l’effectif détaillé des Kommandos travaillant dans le camp ou à l’extérieur. Gerhard Palitzsch a été le premier Rapportführer d’Auschwitz. En 1943, il a été remplacé par Oswald Kaduk.

Revier : infirmerie, hôpital ou quartier tenant lieu d’espace de santé (Krankenbau, Lazarett, Sanitätlager) ; les détenus parlent de « quartier » à éviter par crainte d’une sélection.

Rollkommando : Kommando de déchargement des wagons.

Rottenführer : chef d’équipe, équivalent à caporal-chef.

Sanitäter des Gesundheitsamts (SDG) : officier du département de la Santé.

Sanitätslager : camp médical.

Scheissmeister : « préposé » aux latrines.

Schreiber : (détenu) secrétaire.

Schutzhäftling : détenu de « protection ». (Terme dérivé de Schutzhaft : internement administratif, détention de « protection » contre la colère du peuple.)

Selekcja : sélection.

Sonderkommando : « Kommando  spécial » chargé d’enlever les corps des chambres à gaz et de les incinérer dans les fours crématoires. Composé essentiellement de Juifs, ils sont régulièrement éliminés par les SS pour être remplacés par du « sang neuf ».

Standgericht : cour martiale, conseil de guerre.

Standortartz : médecin local.

Standortverwaltung : bureau administratif de garnison, de gestion du site, antenne administrative.

Stehbunker ou Stehzelle : cachot à station debout situé dans la prison du Block 11 d’Auschwitz I ; cellule très étroite (environ un mètre sur un), sans air ni lumière, où les détenus ne peuvent que se tenir debout.

Strassenbaukommando (parfois contracté en Strassenbau) : Kommando de terrassement.

Strafkommando : Kommando disciplinaire, compagnie punitive. C’est le SK.

Stube : pièce d’un Block, chambrée.

Stück : pièce, morceau. Les SS et Kapos appelaient ainsi les détenus, vivants ou morts. Dans le Sonderkommando, on ne parlait pas de mort ou cadavre, mais de stück.

Stubenältester : détenu doyen de chambrée d’un Block. Il est chargé notamment de la propreté du Block, du contrôle des poux.

Stubendienst : prisonnier chargé de l’entretien de la chambre, responsable de l’ordre dans la chambrée d’un Block, aide du doyen de Block.

Sturmmann : grade de la SS, équivalent du caporal.

Tarnkappe : cape de camouflage ; désigne le langage codé nazi (Tarnsprache) servant à camoufler les opérations d’extermination de masse. Ainsi, les termes Endlösung (« solution finale »), qui désignait la destruction de tous les Juifs d’Europe, ou Invalidentranspor.

Transport : convoi de déportés, transport ou transfèrement de détenus vers un camp de concentration ou d’extermination.

Überstellung : transfert.

Unterscharführer : sergent/sous-officier SS, souvent assigné à la position de Blockführer (surveillant des détenus) et responsable des Sonderkommandos.

Vorarbeiter : « contremaître ». C’est le détenu responsable d’une équipe de travailleurs devant un Kapo ou un Meister (Meister : civil allemand qui dirige une équipe, généralement dans une usine ou un Kommando extérieur.

Zigeunerlager : camp de familles de Tsiganes.

Zivilarbeiter : travailleur ou ouvrier civil.

Zugang : le détenu qui vient d’arriver. Il est souvent méprisé par les anciens du camp et est traité de « millionnaire » en raison de son matricule qui dépasse les 100 000.

 

 

Sources : mes lectures des récits des déportés, notamment Terminus Auschwitz d’Eddy de Wind, pages 305 à 311, Éditions J’ai Lu, 2021, Mélodies d’Auschwitz de Simon Laks, pages 393 à 395, Les Éditions du Cerf, 2018, Les jours de notre mort de David Rousset, pages 972 à 977, Libaririe Arthème Fayard/Pluriel, 2012.