Danielle Casanova est une des plus illustres résistantes de notre pays. Née Vincentella Perini à Ajaccio en janvier 1909, elle épouse Laurent Casanova en 1933 et se fait prénommer Danielle.

Dès septembre 1939, elle entre dans la résistance et la clandestinité comme nombre des membres de l’Union des jeunes filles de France (UJFF), un mouvement de jeunes femmes pacifistes et antifascistes qu’elle avait créé en décembre 1936. Parmi lesquelles Charlotte Delbo, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Yvette Feuillet et Rose Blanc qui seront déportées, avec Danielle Casanova, à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943, dans le cadre de l’opération « Nuit et brouillard ». Ce convoi, qui comprend 230 femmes (et 1 446 hommes), est surnommé « le convoi des 31 000 », car les matricules des déportées à Auschwitz se situent entre 31625 et 31854.

Danielle avait été arrêtée le 15 février 1942 au domicile des époux Politzer. Elle avait d’abord été incarcérée à la prison de la Santé, puis transférée en août au fort de Romainville.

La fiche de Danielle Casanova après son arrestation

Voici le témoignage de Manca Svalbova qu’elle a fait publier en 1946 à Prague :

« De quel pays arrivent-elles ? Nous guettons, attentives. Soudain notre respiration s’arrête, nos poings se serrent, nos yeux brillent ; puissamment, au milieu de notre camp de mort, s’élève La Marseillaise. « Allons enfants de la patrie… » ; pour la première fois depuis longtemps nous respirons profondément. Parmi les trois cents prisonnières était Danielle Casanova. Elle portait la tenue rayée, un fichu gris-bleu couvrait ses cheveux. Étant dentiste, elle fut immédiatement conduite au Revier comme médecin. Dès qu’elle m’eût donné la main, je sus qui était Danielle Casanova. Dans les yeux noirs de cette Corse brillaient la décision, la fermeté, la camaraderie, la sincérité. Son sourire était large, presque naïf avec quelque chose d’une gaieté enfantine, l’art de savoir se réjouir du bleu du ciel. Ses yeux disaient la joie des fleurs, des cristaux de neige collés contre la vitre. Sa poignée de main virile était celle d’un homme, d’une camarade, d’une compagne. Danielle parlait peu. Très vite pourtant elle incarna pour nous toutes un idéal. Elle devint un symbole, et pas seulement un exemple pour les Françaises. De cette intellectuelle, de cette personnalité politique de grand style rayonnait un charme enchanteur. Elle n’avait pas le retranchement des intellectuels niais, au contraire, une façon particulière d’approcher et d’attirer à elle les couches sociales les plus différentes, les opinions politiques les plus divergentes. À chacun elle savait parler dans son propre langage. J’avais l’impression qu’elle avait, elle-même, vécu tous les sorts. Avec quelques phrases, elle réussissait à vous envelopper, à vous embrasser. Il vous semblait avoir toujours connu son visage et que ses bras vous avaient déjà sauvé. Les blocks du Revier et du camp, elle les visitait le soir, quand les colonnes rentraient, mais aussi pendant la pause de midi.

» Partout elle versait à pleines brassées la force, la confiance, la foi, la camaraderie. »

Christian Bernadac précise, avant de laisser la parole à Manca Svalbova : « Très vite Danielle s’intègre dans le réseau clandestin de résistance. Les communistes allemandes lui offrent la direction de leur Comité. Danielle protège les Françaises, les fait nommer dans les Kommandos moins difficiles; Maïe Politzer devient médecin du Revier, d’autres, infirmières, filles de salle, couturières. »

Manca Svalbova continue son témoignage :

« Danielle…

» À chaque transport vers le four, chaque Française crie son adieu, son message. Ce « Danielle », ce n’était pas un appel, ni une supplication. C’était la dernière poignée de main d’une compagne qui tombait. Danielle était à côté de moi. Rien ne changea dans son visage. Seul, autour de sa bouche, se dessina un trait dur que je ne connaissais pas. Mais ses yeux, ses yeux dans lesquels luisait et chauffait le soleil de France, étaient partis avec nos camarades. Et puis, quand la nuit rouge et sanglante se fut allumée, quand les flammes eurent lancé vers le ciel leur affreuse lueur, les yeux de Danielle revinrent après un long détour. Ils avaient vécu toutes les souffrances et souffert les milliers de morts; ils revenaient plus durs, plus graves et résolus. De nouveau ils accompagnèrent quotidiennement celles d’entre nous qui survivaient. Chaque jour de nouvelles victimes tombaient. Danielle ne se rendit jamais. Elle se jetait dans la lutte pour la sauvegarde des malades, elle s’y jetait avec une verve inouïe, méprisant fatigue et danger. Elle entrait dans les blocks pleins de vermine et se penchait sur le délire des typhiques et des moribondes. Pour chaque malade, il fallait se battre. Il nous était interdit de déserter cette lutte pour des vies humaines. C’était un front silencieux sans balles de plomb; la mort néanmoins passait sans cesse dans nos rangs.

» La compagne habituelle de Danielle : Maïe Politzer. Ses yeux bleu ciel caressaient comme un sourire maternel et avec la chaleur des rêves d’enfance.

» Elle était médecin dans la plus pure acceptation du mot. Son sort cruel, la pensée de son petit garçon qu’elle avait dû abandonner en France, tout cela n’avait pu éteindre la joie de son regard. Une fois, elle dansa pour nous une danse populaire de son pays. Il me semblait que dans ses yeux se reflétaient tous les sourires d’enfants, tous les regards d’amoureux.

» Le Revier, à cette époque, était submergé par les typhiques et les médicaments étaient à peu près inexistants. Du matin au soir, Maïe visitait, soignait, encourageait, distribuant le peu qu’elle possédait, souffrant profondément de son impuissance, de l’inefficacité de ses soins, de sa volonté, de son amour. Les cauchemars labouraient son sommeil; elle se levait la nuit pour retourner auprès de ses malades. Maie vivait silencieusement, taciturne comme il arrive aux grands. Personne ne sut depuis combien de temps elle travaillait, déjà malade et enfiévrée, lorsqu’elle dut se coucher. Personne ne s’était aperçu que le typhus la terrassait. Elle continuait de se lever la nuit pour faire des piqûres à ses malades, les caressant, les écoutant, pour ensuite regagner son lit en titubant. Elle souriait. A-t-elle souffert, Maïe ? Quand mourut-elle ? Au bord de ses lèvres un sourire restait et les deux ruisseaux de larmes, sur ses joues, n’étaient pas encore sèches…

» Danielle Casanova devint plus rude, plus silencieuse, plus ferme encore. Ses yeux semblèrent désormais scruter le lointain, comme s’ils voyaient seulement le but à atteindre. Puis un jour de printemps, Danielle tomba à son tour. Son organisme lutta farouchement contre la typhoïde mais la lutte fut inégale dès le premier moment. Le délire l’emmenait au loin, près de sa mère qu’elle embrassait près de ses camarades dont elle serrait les mains. Puis ses grands yeux se perdirent quelque part dans les profondeurs. L’obscurité descendait sur le camp lorsque nous l’avons portée sur son dernier chemin. Ses compagnes étaient venues en grand nombre prendre congé d’elle. Les bouches restèrent muettes et les yeux secs, mais les cœurs saignaient, révoltés. La nuit s’approcha. Nous restions inertes, debout. Dans le silence du camp, le bruit des moteurs devint un grand cri déchirant. Dans leurs guérites, les sentinelles veillaient, comme toujours. Les barbelés continuaient à chanter, les camarades à se tordre dans la fièvre, les Zuzangs à arriver. (Pages 320-323 Les médecins de l’impossible.)

Manca Svalbova témoignage de la mort de Danielle :

« Puis un jour de printemps Danielle tomba à son tour. (…) Le délire l’emmenait au loin, près de sa mère qu’elle embrassait, près de ses camarades dont elle serrait les mains. Puis ses grands yeux se perdirent, quelque part dans les profondeurs, et le voile noir recouvrit ses paupières.

» L’obscurité descendait sur le camp lorsque nous l’avons portée sur son dernier chemin. Ses compagnes étaient venues en grand nombre pour prendre congé d’elle. Les bouches restèrent muettes et les yeux secs, mais les cœurs saignaient, révoltés. La nuit s’approcha. Nous restions inertes, debout. Dans le silence du camp, le bruit des moteurs devint un grand cri déchirant. L’obscurité sanglante nous saisit la main et le néant haletant nous enveloppa. (…)

» Danielle tombait sans avoir jamais cessé de croire dans la vie nouvelle, luttant jusqu’à la dernière minute. Il nous restait à poursuivre la lutte comme elle, dans le même esprit qu’elle. Telle fut notre pensée, Danielle, quand nous avons serré ta main morte. »

Source : https://tousbanditsdhonneur.fr/danielle-et-la-r%C3%A9sistance.html

Voici le témoignage de MarieClaude Vaillant Couturier, une des compagnes de déportation à Auschwitz de Danielle Casanova, dans Héroïnes d’hier et d’aujourd’hui – Une vie, un exemple -Danielle Casanova. Éditions de l’Union des Femmes Françaises :

« Danielle a la fièvre depuis deux jours. Elle ne veut pas se coucher. Elle sait avec quelle impatience ses camarades l’attendent le soir. Une phrase affectueuse en Français alors que tout le long du jour on est assourdi par des vociférations en allemand cela donne du courage, un peu d’espoir. C’est pour cela qu’elle domine sa propre fatigue, son sourire c’est un peu la France.

» Danielle n’a pu se lever ce matin. Elle a 41 de fièvre. On craint le typhus, j’ai été la voir. La fièvre est tombée le 4ème jour, c’est très mauvais signe. Je lui ai appris la mort de Camille Champion : Elle m’a dit : Elles meurent toutes, mon cœur est un cimetière. Tu diras aux amis que moi aussi je suis morte pour la France, comme Politzer et Cadras »

 

Le tableau de Boris Taslitzky : La mort de Danielle Casanova, peint en 1949