Le Complexe concentrationnaire d’Auschwitz comptait 3 camps principaux. Auschwitz I (le camp souche), Birkenau (Auschwitz II), Monowitz-Buna (Auschwitz III), mais aussi de nombreux camps annexes. Voici une liste : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_camps_annexes_d%27Auschwitz

L’un d’eux, Budy, situé à 7 km du camp souche, était une ferme, mais aussi un Kommando disciplinaire. Le 5 octobre 1942, 90 jeunes femmes, des Françaises juives, y ont été massacrées. Comme aucune d’entre elles n’a survécu, les rares témoignages qui nous restent sont ceux des SS : Rudolf Hoess, le commandant du Complexe, et celui du SS-Unterscharführer (grade équivalent à sergent) Pery Broad :

« Les gardes SS affectés en permanence à la surveillance du Kommando de Budy avaient pris l’habitude d’exciter les Kapos allemandes à maltraiter les Juives pendant le travail. Ils menaçaient d’ailleurs les Allemandes qu’au cas contraire, elles-mêmes seraient chassées à coups de bâton à travers la ceinture des postes de garde et, par conséquent tuées si elles tentaient de fuir. Pour ces monstres SS, le spectacle des souffrances des Juives maltraitées constituait un passe-temps divertissant. Or, cette situation insupportable avait pour effet que les Kapos allemandes vivaient dans une angoisse constante. Elles craignaient toujours que leurs victimes torturées, dont l’existence était atroce, ne se vengent sur elles, en profitant d’une occasion favorable. Cependant les Juives qui, pour la plupart, étaient des femmes instruites et cultivées – par exemple anciennes étudiantes de la Sorbonne et artistes – ne songeaient même pas à s’abaisser au niveau de ces vulgaires prostituées allemandes en prenant sur elles une revanche pourtant méritée.

Le camp annexe Budy

» Le soir précédant ces événements, une Juive rentrait du « chalet de nécessité » au dortoir, dans la mansarde de l’école. À ce moment, une Kapo allemande crut apercevoir une pierre dans sa main. Ce n’était, évidemment, qu’hallucination hystérique. En bas, à la porte d’entrée, une sentinelle SS montait la garde. Ce soldat – comme le savaient bien toutes les détenues – était l’amant de la Kapo. Celle-ci s’était mise à crier au secours par la fenêtre en prétendant que la Juive voulait la battre. Tous les SS qui tenaient la garde autour du camp s’étaient précipités alors dans l’escalier et se mirent à assommer les Juives, aidés par les Kapos allemandes déchaînées. Ils précipitèrent les malheureuses du haut de l’escalier, les laissant tomber l’une sur l’autre. Plusieurs détenues furent lancées par les fenêtres et gisaient sans vie sur le sol. Les gardes avaient chassé aussi dans la cour une partie des détenues juives logées dans le baraquement. La provocatrice de toute cette bagarre était restée seule dans le dortoir avec son amant. Or, probablement, cela avait été son but réel. Entre-temps dans la cour, les SS et les Kapos pacifiaient la « révolte » à coups de gourdins, de crosses et de revolvers. Une Kapo s’était même servie d’une hache comme instrument de meurtre. Poussées par une terreur mortelle, quelques Juives avaient tenté de passer par les barbelés pour échapper au massacre, mais elles s’y étaient accrochées et furent tuées. Même quand toutes les détenues gisaient déjà sur le sol, ces diables pris d’une fureur sanglante se démenaient encore sur les malheureuses sans défense. Ils voulaient les tuer toutes pour éviter surtout que leurs forfaits horribles ne soient révélés plus tard par des témoins.

Le Bâtiment où séjournait le Kommando de représailles pour femmes à Budy (page 171 de « Auschwitz vu par les SS ».)

» Avant 5 heures du matin, on avait avisé le commandant du camp de la prétendue révolte étouffée avec succès. Aussitôt il s’était rendu à Budy pour constater les traces de cette orgie sanglante. Quelques femmes moins grièvement blessées qui s’étaient tapies sous les cadavres en cherchant un abri se relevaient maintenant se croyant sauvées. Mais après un bref examen le SS Sturmbannführer Hoess s’était retiré de ce lieu macabre. À peine fut-il parti que les SS fusillèrent les malheureuses survivantes.

» Le lendemain avant midi, les SS du service d’identification et les infirmiers S.S. arrivèrent « pour s’occuper des blessées ». Les infirmiers prirent soin des plus légèrement blessées qui avaient eu la chance de se cacher quelque part au début du drame et n’étaient sorties de leur refuge qu’après l’interrogatoire. Les gens du service d’identification photographiaient de tous les côtés le lieu de l’événement. Par la suite une copie unique fut prise de chaque cliché. Puis tous les négatifs furent détruits en présence du commandant et les copies laissées à sa disposition.

» Dans une salle aménagée à leur usage, les infirmiers SS s’étaient mis au travail. Une à une, les victimes qui trahissaient un signe de vie étaient traînées dans la salle. D’un coup adroit, l’infirmier enfonçait l’aiguille de la seringue sous le sein gauche. L’instant d’après la patiente ainsi « traitée » tombait morte. Deux centimètres cubes de phénol[1] désinfectant peu coûteux, lui avaient été injectés au cœur. Au-dehors, une vieille femme se tenait immobile, accroupie sur les marches du perron. Depuis des années elle avait été internée dans divers camps de concentration pour ses idées religieuses. Elle devait y être rééduquée dans un esprit nazi afin qu’elle reconnaisse « la fausseté des doctrines enseignées par l’Association internationale des Sectateurs de la Bible ». Elle était incapable de comprendre son sort cruel. Les autres détenues observaient avec terreur les S.S. qui traînaient par la porte d’entrée les mourantes et même des femmes en bonne santé et transportaient des cadavres par la porte de l’arrière-cour pour les jeter sur un chariot. Six Kapos allemandes qui avaient pris part au massacre furent amenées au block 11 ; entre autre la « reine de la hache » – Elfriede Schmit – la maîtresse de tous ces criminels. Après un interrogatoire, où elles étaient reconnues coupables, elles gisaient à présent dans la morgue du crématoire, réduites au silence pour toujours. Un petit point rouge sous le sein gauche, à peine visible – seule trace de la piqûre – trahissait le genre de mort qu’elles avaient subi. Leurs parents reçurent par la suite – comme c’était la coutume – les condoléances navrées du commandant. Il leur notifiait que leur fille était arrivée tel jour à l’hôpital du camp, malade d’une telle maladie et que « malgré d’excellents soins médicaux et l’application des meilleurs remèdes, il avait été impossible de la guérir ». Un cynisme inouï se révélait dans la conclusion d’une telle lettre, rédigée en termes communs, communiquant que la défunte n’avait énoncé aucune dernière volonté et qu’à l’occasion de « cette perte douloureuse » le commandant exprimait à sa famille ses condoléances sincères. Une urne avec les cendres de la défunte pouvait même être envoyée sur demande. Quiconque connaissait les méthodes d’incinération employées à Auschwitz – où dans un four, plusieurs corps étaient brûlés à la fois – ressentait cette farce comme une injure. Les dossiers personnels de ces six femmes assassinées contenaient en outre, un rapport médical – signé par le médecin S.S. – sur le développement de la maladie ainsi que les causes immédiates du décès. Les rapports étaient rédigés par un détenu ayant suivi des études médicales et dont la seule fonction à l’infirmerie consistait à rédiger des textes pareils pour chaque prisonnier décédé au camp. Selon les actes de décès, toutes les victimes innombrables du camp, condamnées, fusillées au block 11 en vertu de l’« ordonnance de peine 2 », ou malades « piquées » par une dose de phénol, ou bien détenus morts de faim, ou par suite d’un interrogatoire cruel étaient décédées de façon parfaitement naturelle, à la suite de quelque maladie maligne, dont le développement fatal n’avait pas pu être arrêté.

» Selon l’opinion de l’administration du camp, la mort de ces six Kapos constituait une expiation suffisante du massacre de Budy. Le chef des gardes avait reçu un avertissement. L’entrée sur le terrain du camp fut désormais défendue aux gardes. Les effectifs du camp furent vite complétés puisque de nouveaux transports de Juifs arrivaient tous les jours à Auschwitz. » (Pages 172-175 de Auschwitz vu par les SS et aussi dans Les mannequins nus, pages 141-145.)

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En 2016, un petit sabot sculpté dans du bois, probablement porté comme pendentif, a été retrouvé dans le grenier d’un des bâtiments à Budy. On pense qu’il aurait appartenu à une déportée.

Selon Agnieszka Molenda, présidente de la Fondation lieux de mémoire auxiliaires (FPMP), « il s’agit d’un vrai petit objet d’art d’Auschwitz, un sabot sculpté de 7 millimètres et muni d’une petite chaine qui a dû être porté comme bijou par une prisonnière. On ignore pratiquement tout de cet objet, à qui il a pu appartenir, qui l’a réalisé et comment. » Comme le port de ce genre d’objets étaient interdit, elle y voit une marque de résistance. Elle ajoute : « L’objet qui a dû être caché dans du ciment entre des briques du grenier où dormaient les prisonnières a pu appartenir à une des victimes du massacre. »


[1] Comme il résulte d’un journal tenu par un médecin de camp, le SS-Obersturmführer Kremer, c’est déjà le 24 octobre 1942 que l’infirmier S.S. (S.D.O.) Klehr tua plusieurs détenus en leur appliquant une injection intracardiaque. L’annotation dans le journal est conçue dans les termes suivants : « Six femmes de la révolte à Budy ont reçu l’injection (Klehr). »