Voici une anecdote pour montrer à quel point Auschwitz-Birkenau était une usine de mort et de destruction. Massacres et meurtres de plus d’un-million-cent-mille personnes, esclavages, brimades, humiliation, destruction des valeurs humaines, mais aussi de la beauté.
Le témoignage est celui de Tatiana Maik. Christian Bernadac la présente ainsi dans Les Victorieux :
« Tatiana Maik est hongroise. Elle a été arrêtée à Vienne au lendemain de l’Anschluss. Elle se destinait au théâtre. Dans son cercle d’amis proches, deux appartenaient au Parti communiste clandestin. Après plusieurs prisons « convenables », elle devient terrassière « de première classe » dans la boue de Birkenau.
Au début de 1944, sans doute parce que les déportés autrichiens du camp ont décidé d’occuper le plus grand nombre possible des postes privilégiés tenus par les Polonais, elle se retrouva aux Canadas. La Terre promise de tout détenu. »
Voici un extrait du témoignage de Tatiana Maik :
« C’était au moment même où mes compatriotes de Hongrie allaient être déportés et tous passés par les chambres à gaz. Le Canada, nous en rêvions toutes et tous. Le Canada, c’était la certitude de manger à sa faim, “d’organiser”, surtout d’être “considéré” par les autres détenus et par ces petits chefs toujours à l’affût d’un profit matériel. Même certains SS trafiquaient avec les employés des Canadas. Notre travail consistait à dépouiller tout ce que les déportés avaient emporté avec eux. Et tous, en partant vers l’inconnu, se chargeaient de leurs trésors les plus précieux. Ce pouvaient être des photos, des papiers de famille, des mèches de cheveux, les dents de lait de leurs enfants, mais surtout des centaines de milliers de bijoux, des pièces d’or, des devises, de l’argenterie, des tapis… des “choses” inimaginables. Il y avait un secteur qui ne s’occupait que des tapis. Oui, beaucoup emportaient dans les wagons à bestiaux des tapis roulés. Et des tableaux ! Des croûtes horribles mais sûrement, quelquefois, des chefs-d’œuvre. J’ai été fascinée par une toile pas très grande qui représentait une Annonciation. Ce n’était pas une toile mais un panneau de bois marqueté, donc une peinture ancienne. Derrière il y avait une longue inscription à l’encre de Chine qui précisait l’origine du tableau, le nom de son auteur : Antonello da Messina. Je ne connaissais pas ce peintre du XVe siècle. Mais son nom me faisait rêver, je l’ai prononcé plusieurs fois pour m’en souvenir. Il évoquait pour moi, je ne sais pas pourquoi, un chant d’oiseau. Eh bien, ce panneau a traîné une dizaine de jours au milieu des ballots de linge et puis il a été fendu à coups de talon, et il a terminé sa vie de chef-d’œuvre dans le poêle pour faire griller des boulettes de viande et d’oignons hachés. »
Le tableau en question devait ressembler à un de ceux-là peints par Antonello.


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Les Victorieux, « Derrière les barbelés, les vainqueurs aux pieds nus… », éditions Michel Lafon, 1994. L’extrait se trouve aux pages 198-199.
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