Rudolf Hoess à Auschwitz

Le complexe d’Auschwitz n’était pas simplement un camp de concentration, c’est-à-dire un camp où les nazis concentraient les ennemis du régime hitlérien pour les faire travailler comme dans un bagne, ou un centre de réhabilitation. Ce n’était pas aussi, avec Birkenau, un simple centre de mise à mort, mais bien une fabrique de damnés. Un lieu infernal, hors de l’humanité, où les détenus étaient humiliés, brimés, affamés, torturés, et corrompus pour certains, avant d’être assassinés.

 

Rudolf Hoess, dans ses confessions* rédigées, à l’instigation de ses avocats, lorsqu’il est en prison en Pologne en attente de son jugement, écrit ceci à propos de la mentalité des gardes SS dans les camps de concentration :

« Eicke** voulait supprimer chez les SS tout sentiment de pitié à l’égard des internés. Ses discours, les ordres dans lesquels il insistait sur le caractère criminel et dangereux de l’activité des internés, ne pouvaient rester sans effet. Sans cesse endoctrinées par lui, les natures primitives et frustes concevaient à l’égard des prisonniers une antipathie et une haine difficilement imaginables pour les gens du dehors. L’influence de Eicke s’est fait sentir dans tous les camps de concentration, sur toute la troupe et les officiers SS qui y étaient affectés et elle a produit son effet bien des années après que Eicke eut quitté son poste d’inspecteur.

Le SS-Obergruppenführer Theodor Eicke.

» C’est par cette attitude haineuse que s’expliquent tous les sévices, toutes les tortures qui furent infligés aux internés des camps de concentration.

» Cette position fondamentale se trouvait encore renforcée par l’activité des vieux commandants tels que Loritz et Koch pour lesquels les internés n’étaient pas des êtres humains mais des « Russes » ou des « Canaques ».

» Les internés n’ignoraient naturellement rien des sentiments qu’on avait inculqués à leurs gardiens. Pour les fanatiques, les obstinés, cela ne faisait que les confirmer dans leur point de vue initial ; quant à ceux qui étaient animés de bonne volonté, ils se sentaient repoussés et offensés.

» Toutes les fois que Eicke venait donner des directives à ses subordonnés, cela se répercutait immédiatement sur l’ambiance du camp. Les internés étaient abattus et observaient avec angoisse le moindre geste des SS. Des bruits sinistres se répandaient au sujet de nouvelles représailles. Bientôt l’inquiétude devenait générale. » (Page 98, Éditions La Découverte.)

 

*Les confessions de Hoess ont été publiées sous le titre de Le commandant d’Auschwitz parle.

**Theodor Eicke est le premier commandant du camp de concentration de Dachau où Rudolf Hoess fait ses classes. Eickel participe à l’élimination d’Ernst Röhm lors de « la nuit des Longs Couteaux » au début du mois de juillet 1934. Promu, il est nommé inspecteur des camps de concentration et commandant des unités « Totenkopf », les tristement célèbres unités SS « tête de mort ». Nommé général de la SS (SS-Obergruppenführer), il va combattre sur le front de l’Est et trouve la mort en Ukraine en février 1943 lors d’une mission de reconnaissance aérienne durant la préparation de la troisième bataille de Kharkiv.

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Voici l’analyse qu’en donne Eugen Kogon dans son ouvrage L’État SS, le système des camps de concentration :

Eugen Kogon signant des exemplaires de son ouvrage Der SS-Staat.

« De tout temps, la Gestapo et la SS se sont attachées à obtenir le mélange des catégories de détenus dans chaque camp. Il n’y a jamais eu de camp ne contenant que des détenus d’une seule catégorie. En agissant ainsi, la Gestapo plaçait au dernier échelon son adversaire le plus dangereux : le Politique. Chassé de la communauté populaire, et mis sur le même pied que des criminels, des asociaux, des faibles et des idiots, le Politique devait sentir qu’il faisait lui aussi partie de la lie. L’intention de lui enlever toute conscience de sa valeur était évidente. Il devait sentir disparaître les bases de sa personnalité, devenir un criminel comme les autres et même pire, car il récusait les principes fondamentaux de l’existence du peuple allemand (traduire : du national-socialisme). Eicke, l’inspecteur des camps, a fait les déclarations suivantes devant l’opinion publique allemande, tout en maintenant cette fiction selon laquelle les camps auraient été des sortes d’instituts de redressement : «Tout homme en détention préventive a la liberté de songer aux raisons pour lesquelles il est venu dans le camp. On lui offre là l’occasion de modifier son opinion intime à l’égard du peuple et de la patrie et de se consacrer à la communauté populaire sur une base nationale-socialiste. Mais, s’il le préfère, il peut laisser sa vie pour les infectes IIe et IIIe Internationales juives d’un Marx ou d’un Lénine. » La seconde raison en faveur du mélange des catégories de détenus était de maintenir sans cesse des oppositions dans les rangs des prisonniers, de les empêcher de former des groupes ou de réaliser leur unité, ceci afin de pouvoir toujours dominer un grand nombre d’hommes grâce à quelques-uns. Chaque camp n’était dirigé que par un groupe très peu important de SS « Tête de mort », qui étaient constamment affectés aux bureaux de commandement des camps. Ils se servaient alternativement des différentes catégories de détenus pour atteindre leurs buts ; ils les excitaient les uns contre les autres, ils parsemaient les camps de mouchards qu’il était toujours facile de recruter dans une compagnie si mélangée. Par ces méthodes, également associées à un régime de terreur impitoyable, ils maintenaient leur domination même sur des camps gigantesques. » (Pages 44-45, Éditions de La Jeune Parque, collection « Points Histoire ».)

 

Rudolf Hoess a bien intégré la « philosophie éducative » de Theodor Eicke et l’a fait appliquer à Auschwitz. Il n’était pas vraiment question de réhabiliter les prisonniers politiques pour les amener (ou les ramener concernant les SA) dans le giron nazi, mais bien de déshumaniser, de détruire toutes valeurs humanistes, humaines chez les déportés. Pour se faire, leurs auxiliaires étaient des criminels allemands, les fameux 30 premiers déportés, Triangles Verts, qui ont été les Blockältesters et Lagerältester des différents camps composant le complexe concentrationnaire d’Auschwitz.

 

Pour les termes spécifiques, je renvoie à mon billet 3 sur le Lagersprache : http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/lagersprache/

Concernant les Triangles Verts et l’arrivée des premiers déportés à Auschwitz, je renvoie à mon billet 14 : http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/14-arriver-a-auschwitz/