Parmi les nombreuses exactions commises par les SS, une avait lieu au bureau politique d’Auschwitz, au bloc 11 de sinistre réputation : le Todesblock, le bloc de la mort qui servait de bunker, c’est-à-dire de prison. Ces tortures, pour faire parler les prisonniers (ou suspects) qui avaient tenté de s’évader (ou comploté contre les SS), étaient effectuées sous la direction du SS-Oberscharführer (adjudant) Wilhelm Boger. L’une d’elles, certainement la plus cruelle, était surnommée « la balançoire » ou « balançoire de Boger ».

Wilhelm Boger
Le témoignage est celui d’un collègue SS de Boger, un fonctionnaire de la Politische Abteilung, c’est-à-dire la Gestapo du camp d’Auschwitz, Perry Broad qui avait le grade d’Unterscharführer-SS (sergent) :
« D’affreux supplices attendaient ceux qui ne voulaient pas de bon gré avouer immédiatement leur « crime » ou qui étaient soupçonnés de savoir quelque chose sur des armes cachées, ou bien de connaître les noms des membres d’une organisation clandestine.
» Peu de gens à Auschwitz connaissaient la destination de ces charpentes en bois.
» Les initiés savaient que c’étaient des « balançoires » comme on avait dénommé cyniquement ces instruments de torture. Elles furent introduites à Auschwitz par un fonctionnaire de la Gestapo. Il était venu un jour, d’un bureau de la Gestapo, pour procéder à l’interrogatoire d’un prisonnier en détention préventive. Subitement, un singulier gémissement étouffé se fit entendre de la salle laissée à sa disposition. Dès l’entrée dans la salle, un tableau se présenta qui déconcerta même les S.S. du camp, qui, pourtant, avaient vu bien des choses horribles. Deux tables étaient placées à un mètre l’une de l’autre. Le patient devait s’asseoir sur le sol, les genoux repliés et enlacés par ses bras. Ses poignets étaient resserrés ensuite devant les jambes par des menottes. Entre les coudes et les genoux passait une grosse barre de fer dont les bouts étaient posés sur les deux tables entre lesquelles le malheureux se balançait impuissant, la tête en bas. Alors on se mettait à le fouetter avec un nerf de bœuf sur le derrière et la plante de ses pieds nus.
» Les coups étaient si forts, que le supplicié effectuait presque un tour entier autour de son axe. Un coup sifflant et vigoureux tombait sur ses fesses chaque fois que s’en offrait la possibilité. Quand les cris du patient devenaient trop forts, le sadique tortionnaire de la Gestapo lui mettait un masque à gaz sur le visage. Alors on n’entendait plus que des gémissements étouffés. De temps en temps le masque était enlevé, et le bourreau interrogeait sa victime. Dénoncé par un camarade sans scrupules, le patient était accusé de posséder une arme.
» Après 15 minutes environ, les mouvements convulsifs du torturé étaient calmés. Il ne pouvait plus parler, et ne remuait que faiblement la tête quand son bourreau lui enlevait le masque, en le pressant d’avouer. Son pantalon teinté de sang s’égouttait sur le sol. Enfin sa tête retomba lourdement – il avait perdu connaissance. Le Stapo n’en était nullement ému. Avec un méchant sourire d’homme de métier il tira de sa poche un flacon rempli de liquide d’une odeur pénétrante en le mettant sous le nez du prisonnier. Après quelques minutes, celui-ci recouvrit effectivement ses sens. Comme ses fesses étaient tellement meurtries que les coups n’auraient plus intensifié la douleur, l’inquisiteur inventa un nouveau supplice. Il se mit à verser de l’eau bouillante dans le nez de sa victime. La douleur devait être indescriptible. Le bourreau était arrivé à ses fins.

La balançoire de Boger.
» À une nouvelle question, posée d’un ton moqueur et victorieux, le malheureux cruellement torturé hocha la tête en signe d’aveu. Alors la barre fut enlevée des tables et appuyée par un bout sur le sol – de façon que le supplicié put glisser en bas – et retirée ensuite. Ce n’est qu’avec peine qu’on put enlever les menottes des poignets violacés et gonflés du patient. Celui-ci gisait sur le sol sans donner signe de vie. Comme il était incapable de répondre à l’ordre de s’approcher de la table pour signer son « aveu », des coups de nerf de bœuf et des coups de pied retombèrent sur sa tête rasée et sur son dos. Il réussit enfin à se soulever avec peine et à poser sa signature sous la « déposition », les doigts tremblants et presque incapables d’écrire. Les lettres vacillantes et les taches de sueur imprimées par sa main sur le papier pouvaient dénoncer à un œil compétent qu’il s’agissait cette fois d’une enquête « rigoureuse » « avec application de tous les moyens disponibles ». Ou d’un « interrogatoire détaillé » (Eindringliche Befragung) comme on le formulait autrement dans les rapports d’instruction. Cette méthode fut accueillie à Auschwitz avec approbation. Toutefois, la solution avec deux tables a été jugée trop rudimentaire, la barre se déplaçant sur celles-ci sans cesse et même tombant par terre avec le patient ligoté. C’est pourquoi on avait commandé aux détenus employés dans les ateliers de construction, de fabriquer deux charpentes en bois munies d’une barre d’acier que l’on pouvait retirer.
» Ceci a contribué à rendre les tortures plus atroces encore, car on pouvait, par surcroît, faire tourner le patient autour de la barre.
» Voilà quelles méthodes étaient appliquées dans les baraquements du poste de garde pendant les interrogatoires. »
Capturé par les troupes britanniques le 6 mai 1945, Broad rédige un mémoire détaillé sur Auschwitz et les exactions des SS qu’il remet au Secret Intelligence Service (SIS). L’extrait est tiré de ce rapport. Pery Broad sera jugé lors du second procès d’Auschwitz à Francfort-sur-le-Main en 1965. Reconnu coupable d’avoir supervisé des sélections à Birkenau, participé à des interrogatoires, des tortures et des exécutions, il sera condamné à quatre ans de prison.

Pery Broad
Au même procès, Wilhelm Boger sera condamné à la prison à perpétuité pour meurtre, meurtre collectif et complicité de meurtre collectif.
C’est dans l’ouvrage Auschwitz vu par les SS, édition du Musée d’État à Oswiecim, 1974 (traduction d’Helena Dziedzinska) qu’on peut lire l’intégralité du texte de Broad. L’extrait se trouve aux pages 158 à 160.
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