
Entrée d’Auschwitz
En mai 1940 le camp de concentration d’Auschwitz est créé en Pologne occupée (le « Gouvernement général ») dans la province de Silésie, à côté de la ville d’Oświęcim, sur ce qui était une garnison militaire.
À cette époque, il n’y a qu’un seul camp, le camp souche, Auschwitz I, le Stammlager.
Les tout premiers déportés sont 30 criminels allemands, ils formeront les Prominents : les Lagerältester, Blockältester, Schreiber et Kapo. Ils arrivent avec Gerhard Palitzsch, le premier Rapportführer d’Auschwitz. Ces 30 déportés vont se faire les complices des SS dans le travail de déshumanisation, d’esclavage et d’extermination que subiront les futurs Häftlings.
Le premier convoi de Schutzhäftlinge arrive en juin, il est constitué de 720 opposants politiques polonais, socialistes ou communistes pour la plupart. Voici le témoignage d’un de ces déportés, Wieslaw Kielar. Son matricule était le 290.
« Nouvel arrêt, dans une gare importante, à en juger par le nombre des voies. Sur la gare, en grandes lettres, le nom de la localité : Auschwitz. Quelqu’un explique qu’il s’agit d’Oswiecim. Un quelconque trou perdu. Nous n’avons guère le temps d’y réfléchir, car le train repart déjà. Lentement, il décrit une grande courbe, sans doute pour gagner une autre voie. Les roues grincent impitoyablement. Nous restons assis sans bouger ; on nous interdit même de jeter un coup d’œil en direction de la fenêtre. Le train avance de quelques mètres, s’arrête, repart ; on dirait qu’il a le hoquet. Dehors, on entend des bruits de course, des vociférations en allemand. Brutalement, la portière s’ouvre. « Dehors, bande de malfaiteurs ! hurle une voix. Dehors ! » Nos accompagnateurs nous aident à leur façon, en nous donnant des coups de crosse dans le dos, à toute volée. Nous nous précipitons comme des fous vers l’unique issue. L’un après l’autre, nous sautons du wagon surélevé, pour nous trouver face à une haie de SS qui s’étend jusqu’à une haute clôture entourant un grand bâtiment. Accompagnés par les vociférations des SS, nous courons vers le portail sous les coups, comme un troupeau de moutons affolés.

Wieslaw Kielar
» Sur l’esplanade, nous devons de nouveau passer entre une double haie humaine. Cette fois, ce ne sont pas des SS, mais de grands gaillards à l’air redoutable, curieusement vêtus d’espèces de pyjamas rayés. Chacun tient un grand bâton, qu’il agite inlassablement devant lui. Je prends un coup sur la main, heureusement amorti par le pardessus que je tiens. Je fais un saut de côté, mais un autre « rayé », grand et gros, m’assène un coup de pied. Heureusement, cela ne dure pas longtemps, car l’on commence à nous mettre en rang. Un des rayés, au visage basané et aux petits yeux noirs et perçants, passe devant les rangs, vérifiant l’alignement et la tenue de chacun, le tout sans cesser de hurler. Les autres « rayés » se sont toutefois rangés à côté de nous. Nous remarquons que des chevrons noirs ou verts sont cousus sur leurs vestons et sur leurs pantalons, qui portent également des numéros, de 1 à 30. Le type au teint basané et au visage de bandit porte le numéro 1. Lorsqu’il a fini de nous compter, il se recule de quelques pas, se met au garde-à-vous et ordonne d’une voix forte et coupante : « Tous au garde-à-vous ! Tête nue ! Les yeux à droite ! »
» Sans comprendre ce qu’on nous veut, nous restons figés dans une immobilité absolue. Soudain, le « rayé » qui nous commande se dirige d’un pas élastique vers le groupe de SS qui se tient un peu à l’écart. À quelques pas d’eux, il se met au garde-à-vous, claque bruyamment des talons, ôte son béret d’un geste vif et baragouine quelque chose en allemand ; nous ne comprenons, bien sûr, pas un mot. Un des SS lui répond un peu plus lentement, sans retirer sa pipe de sa bouche, tout en désignant un des bâtiments voisins. Dès qu’il a fini de parler, le « rayé » claque de nouveau des talons, remet son béret bleu, qui ressemble à une casquette de matelot, exécute un demi-tour impeccable et revient vers nous. Un nouvel ordre retentit ; le reste de « rayés » rompt les rangs et nous fait aligner devant le bâtiment.

» Par petits groupes, on nous fait entrer par une porte étroite d’où un escalier descend vers une cave. En bas, on nous divise en groupes plus petits, et on nous fait passer par plusieurs niveaux souterrains où nous sommes peu à peu allégés de toutes nos possessions, y compris de nos cheveux et de tout notre système pileux ; pour finir, nous avons droit à un bain glacé. En échange de tout cela, chacun a droit à un petit carton portant un numéro qui remplace dorénavant notre nom. Je reçois le numéro 290. Romek Trojanowski et Edek Galinski, qui se sont retrouvés dans d’autres groupes, ont respectivement le 44 et le 537. De cette simple façon, nous sommes devenus des numéros. Au bout d’un certain temps, on nous rend nos vêtements, et on nous pousse dans la cour, où l’on nous fait mettre en rang par cinq. Deux d’entre nous, qui parlent bien l’allemand, sont promus interprètes ; autant l’un d’eux, Baltazinski, est grand et fort, autant l’autre est maigre et fluet ; il porte des lunettes et s’appelle comte Baworowski. Leur première tâche consiste à nous communiquer, en traduisant ce que dit un officier SS d’apparence chétive, que nous sommes des « détenus par mesure de sécurité » (Schutzhäftlinge), condamnés à la détention perpétuelle au camp de concentration d’Auschwitz.
» Nous n’allions pas tarder à apprendre ce que c’était, un camp de concentration ! »
Pages 24-25 de Anus Mundi, cinq ans à Auschwitz, Éditions Robert Laffont, traduction de F. Straschitz.
Pour les termes en allemands voir le glossaire : http://lescendresdauschwitz.cyrilcarau.fr/lagersprache/
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