À Birkenau, le bloc 25, dans le camp des femmes, était surnommé « le bloc de la mort ». Dans ce bloc particulier, qui servait d’antichambre de la mort, les déportées qui avaient été sélectionnées, c’est-à-dire jugées inaptes au travail, y étaient cloitrées pendant plusieurs jours, sans eau ni nourriture, avant d’être emmenées aux chambres à gaz. Les conditions y étaient épouvantables. Voici deux témoignages d’anciennes Häftlings qui ont vu ce qui s’y passait.
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Le bloc 25.
Le témoignage de Charlotte Delbo :
« Celles qui sont couchées là dans la neige, ce sont nos camarades d’hier. Hier elles étaient débout à l’appel. Elles se tenaient cinq par cinq en rangs, de chaque côté de la Lagerstrasse. Elles partaient au travail, elles se traînaient vers les marais. Hier elles avaient faim. Elles avaient des poux, elles se grattaient. Hier elles avalaient la soupe sale. Elles avaient la diarrhée et on les battait. Hier elles souffraient. Hier elles souhaitaient mourir.
» Maintenant elles sont là, cadavres nus dans la neige. Elles sont mortes au block 25. La mort au block 25 n’a pas la sérénité qu’on attend d’elle, même ici.
» Un matin, parce qu’elles s’évanouissaient à l’appel, parce qu’elles étaient plus livides que les autres, un SS leur a fait signe. Il a formé d’elles une colonne qui montrait en grossissement toutes les déchéances additionnées, toutes les infirmités qui se perdaient jusque-là dans la masse. Et la colonne, sous la conduite du SS, était poussée vers le block 25. Il y avait celles qui y allaient seules. Volontairement. Comme au suicide. Elles attendaient qu’un SS vînt en inspection pour que la porte s’ouvrît – et entrer.
» Il y avait aussi celles qui ne couraient pas assez vite un jour qu’il fallait courir. Il y avait encore celles que leurs camarades avaient été obligées d’abandonner à la porte, et qui avaient crié: « Ne me laissez pas. Ne me laissez pas. »

Charlotte Delbo à Auschwitz-Birkenau en tenue d’Häftling.
» Pendant des jours, elles avaient eu faim et soif, soif surtout. Elles avaient eu froid, couchées presque sans vêtements sur des planches, sans paillasse ni couverture. Enfermées avec des agonisantes et des folles, elles attendaient leur tour d’agonie ou de folie. Le matin, elles sortaient. On les faisait sortir à coups de bâton. Des coups de bâton à des agonisantes et à des folles. Les vivantes devaient traîner les mortes de la nuit dans la cour, parce qu’il fallait compter les mortes aussi. Le SS passait. Il s’amusait à lancer son chien sur elles. On entendait dans tout le camp des hurlements. C’étaient les hurlements de la nuit. Puis le silence. L’appel était fini. C’était le silence du jour. Les vivantes rentraient. Les mortes restaient dans la neige. On les avait déshabillées. Les vêtements serviraient à d’autres.
» Tous les deux ou trois jours, les camions venaient prendre les vivantes pour les emporter à la chambre à gaz, les mortes pour les jeter au four crématoire. La folie devait être le dernier espoir de celles qui entraient là. Quelques-unes, que leur entêtement à vivre faisait rusées, échappaient au départ. Elles restaient parfois plusieurs semaines, jamais plus de trois, au block 25. On les voyait aux grillages des fenêtres. Elles suppliaient : « À boire. A boire ». Il y a des spectres qui parlent.
» Elle est là, sans vie déjà, sur les planches nues. Les planches puantes qui ont mis l’os à vif, à la pointe de son épaule. Elle avait de belles épaules, Viva. Sans ses cheveux, je ne l’aurais pas reconnue. La peau collée aux maxillaires, la peau collée aux orbites, la peau collée aux pommettes. Elle fait la peau fine, la mort. Fine et tendue, et d’une étrange transparence.
» Dans le bloc 25, dans la cour, on voyait les rats, gros comme des chats, courir et ronger les cadavres et même s’attaquer aux mourantes, qui n’avaient plus la force de s’en débarrasser. »
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Le témoignage de Marie-Claude Vaillant-Couturier, le lundi 28 janvier 1946 au procès de Nuremberg :
« Le matin. À 3 heures et demie tout le camp a été réveillé et envoyé dans la plaine, alors que d’habitude l’appel se faisait à 3 heures et demie, mais à l’intérieur du camp. Nous sommes restées dans cette plaine, devant le camp, jusqu’à 5 heures du soir, sous la neige, sans recevoir de nourriture, puis, lorsque le signal a été donné, nous devions passer la porte une à une, et l’on donnait un coup de gourdin dans le dos, à chaque détenue, en passant, pour la faire courir. Celle qui ne pouvait pas courir, parce qu’elle était trop vieille ou trop malade, était happée par un crochet et conduite au bloc 25, le bloc d’attente pour les gaz. Ce jour-là, dix Françaises de notre transport ont été happées ainsi et conduites au bloc 25. Lorsque toutes les détenues furent rentrées dans le camp, une colonne, dont je faisais partie, a été formée pour aller relever dans la plaine les mortes qui jonchaient le sol comme sur un champ de bataille. Nous avons transporté dans la cour du bloc 25 les mortes et les mourantes, sans faire de distinction ; elles sont restées entassées ainsi.

Marie-Claude Vaillant-Couturier témoignant au procès de Nuremberg.
» Ce bloc 25, qui était l’antichambre de la chambre à gaz — si l’on peut dire — je le connais bien, car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtres donnaient sur la cour du 25. On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c’était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre.
» La mortalité dans ce bloc était encore plus effroyable qu’ailleurs, car, comme c’étaient des condamnées à mort, on ne leur donnait à manger et à boire que s’il restait des bidons à la cuisine, c’est-à-dire que souvent elles restaient plusieurs jours sans une goutte d’eau.
» Un jour, une de nos compagnes, Annette Épaux, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, dans toutes les langues : « À boire, à boire, à boire, de l’eau ». Elle est rentrée dans notre bloc chercher un peu de tisane mais, au moment où elle la passait par le grillage de la fenêtre, la Aufseherin l’a vue, l’a prise par le collet et l’a jetée au bloc 25.
» Toute ma vie, je me souviendrai d’Annette Épaux. Deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait à la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line Porcher, et au moment où le camion s’est ébranlé, elle nous a crié : « Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez en France ». Puis elles se sont mises à chanter La Marseillaise.
» Dans le bloc 25, dans la cour, on voyait les rats, gros comme des chats, courir et ronger les cadavres et même s’attaquer aux mourantes, qui n’avaient plus la force de s’en débarrasser. »
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Pour lire l’intégralité de son témoignage : https://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/crdfed/nuremberg/consult/Nuremberg/06/44e.xml/am28011946
Pour une visite virtuelle d’Auschwitz-Birkenau : https://panorama.auschwitz.org/tour2,7115,en.html
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